Le parcours du combattant des usagers des CPAS
Texte de la Conférence de presse ADS - 13 décembre 2013
Voilà plus de 45 ans que notre association, l’atelier des Droits sociaux (anciennement dénommée Solidarités Nouvelles Bruxelles) travaille dans la lutte contre la pauvreté.
Notre service Aide Sociale traite les demandes des personnes sans revenu ou avec des revenus inférieurs au montants du RIS et qui doivent faire appel au CPAS.
Nous constatons au quotidien qu’ouvrir ou maintenir le droit au revenu d’intégration sociale devient un parcours de combattant pour les usagers, particulièrement dans certains CPAS des grandes villes et à Bruxelles.
Nous avons recensé dans ce document un certains nombre d’exemples afin d’illustrer les problèmes rencontrés par les personnes qui s’adressent au CPAS et ceci à travers toutes les étapes de la procédure d’introduction d’une demande d’aide.
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L’aide sociale, ça existe ?
De nombreuses personnes en difficultés financières comme par exemple certains pensionnés, travailleurs à temps partiels, allocataires sociaux,… ne savent pas qu’elles peuvent ouvrir un droit à un complément à leur revenu pour arriver au montant du revenu d’intégration sociale mais également à des aides sociales telles que la prise en charge de factures énergies, frais médicaux,
Ces aides sociales sont octroyées au cas par cas. Pour chaque aide sociale, une nouvelle demande doit être introduite, le CPAS doit réceptionner la demande et répondre à la personne en lui notifiant la décision. Il n’est pas pour autant remboursé par l’État fédéral. Ces aides octroyées le sont sur les fonds propres des CPAS. Cependant, certains fonds sont octroyés par l’État comme celui de l’énergie, des garanties locatives, de la prime d’installation. Les aides sociales dépendent des budgets des CPAS, donc des communes, ce qui explique l’arbitraire dans certaines décisions. En exemple, un CPAS va rembourser l’achat d’une paire de lunette et pas un autre.
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Quel CPAS ?
A quel CPAS s’adresser quand on est sans abri? Les compétences territoriales explicitées dans la loi d’avril 65 occasionnent des problèmes, provoqués par la complexité des situations des personnes. Lorsqu’un sans abri explique au travailleur social qu’il dort sur la commune d’Auderghem, puis sur celle de Bruxelles ville, les CPAS se renvoient alors la balle même si une procédure existe dans la loi.
Si le sans abri trouve refuge chez un ami, celui-ci risque d’être pénalisé par l’octroi d’un taux cohabitant, de même pour son ami s’il est bénéficiaire du CPAS. Certaines solidarités sont sanctionnées dans les faits.
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Introduire une demande au CPAS ?
Dans certains CPAS, les files d’attentes commencent à 6h du matin. Les assistants sociaux prennent par exemple les cinq premières personnes. C’est la loi du plus fort dans ces files d’attente, car des intimidations existent pour arriver dans les premiers. Les autres vont devoir revenir à nouveau et recommencer la file.
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Accusé de réception : preuve et ouverture d’un droit :
Alors que la loi oblige les CPAS à délivrer un accusé de réception et à le noter dans un registre avec la signature de l’usager, la réalité est tout autre. Ce document important constitue d’une part la preuve de l’introduction d’une demande et d’autre part détermine le 1er jour d’octroi de l’aide en cas de décision positive. Il peut également être utilisé lors du recours devant le tribunal du travail si la notification de la décision n’est pas parvenue au demandeur dans le délai prévu par la loi .
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Le RDV avec l’assistant social.
Dans certains CPAS Bruxellois, il faut parfois attendre 2 à 3 semaines ou plus avant d’obtenir un rendez-vous avec l’assistant social. Les assistants sociaux en congé ne sont pas remplacés, seuls les malades le sont. Etant donné les conditions de travail, la surcharge de travail dû à l’augmentation du nombre de dossiers, les CPAS doivent faire face à un turn-over de ces travailleurs. Ce qui entraîne des difficultés de compréhension, de suivis des dossiers et des délais d’attente qui peuvent aller jusqu’à 3 mois, alors que la loi prévoit un délai de 30 jours pour statuer sur un dossier. De plus, il nous est de plus en plus difficile de joindre par téléphone un assistant social en charge d’un dossier. Des calls center sont parfois installés mais ils ne règlent pas le problème. Certains usagers ont parfois des réticences ou des problèmes d’entente avec le travailleur assermenté. Cependant, il n’existe rien dans la loi pour leur permettre d’en changer. Un travail social qui se situe à la fois entre le contrôle des deniers publics et l’aide au demandeur permet difficilement d’installer la confiance.
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Remise des documents.
La liste des documents demandée est de plus en plus longue. Certains documents sont payants ou difficiles à obtenir (bon vouloir de patrons pour une fiche de paie, papiers d’indépendants…). Si les documents demandés ne sont pas apportés assez rapidement au CPAS, une décision de refus de collaboration est notifiée à la personne concernée.
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Visite domiciliaire effectuée par le travailleur social :
Cette visite n’est pas réglementée par la loi, comme au chômage et la manière dont elle se passe dépend de la correction et de l’éthique de l’assistant social. Le passage de l’assistant social n’est souvent pas signalé à la personne. La personne n’est pourtant pas assignée à domicile. Lors de relations affectives, il y a une intrusion dans la vie privée des personnes, comme si le fait d’être bénéficiaire d’un revenu d’intégration sociale est en contradiction avec une vie affective. La cohabitation est alors invoquée pour éviter l’intervention du CPAS. Les délations au sujet de la cohabitation, sont souvent prises pour argent content par les décideurs. L’absence répétée de l’usager lors de ces visites peut donner lieu à un refus de l’aide.
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Le droit d’être entendu par le comité.
Peu connu des demandeurs, cette possibilité explicitée par la loi, permet parfois de revoir la décision si la situation de la personne est mal comprise par le travailleur social. L’accompagnement de la personne est nécessaire car l’audition et la défense de son dossier devant les conseillers peut-être très impressionnante pour des personnes souvent fragilisées par un parcours et un vécu du quotidien très éprouvant. La remise en question d’un droit de survie peut être traumatisante.
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décision du comité :
Dans certains CPAS, les piles de dossiers s’accumulent et les comités prennent leurs décisions tardivement. Les 30 jours maximum prévu par la loi pour décider de l’octroi ou non de l’aide sont alors dépassés, et si l’on ajoute les dysfonctionnements déjà cités : 1er RDV tardif avec l’assistant social, visite domiciliaire tardive, comité surchargé,….Parfois le CPAS met 3 mois pour statuer sur la demande. Comment faire pour manger, payer son loyer, ses factures pendant tout ce temps ?
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L’envoi de la décision notifiée et motivée.
En ce qui concerne la décision, il arrive régulièrement qu’elle soit tardive, qu’il n’y a pas de décision ou la décision est incompréhensible, non motivée. Parfois, les personnes rencontrent également des problèmes pour la réception de leur courrier à cause de boites aux lettres ouvertes, communes dans un immeuble insalubre.
La personne qui se voit refuser l’aide, va perdre son logement, être expulsée par le juge de paix ou parfois par le propriétaire directement en changeant les serrures ! Ils ne restent plus que la famille, les amis ou les maisons d’accueil saturées en hiver, ou la rue…
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Recours devant le tribunal du travail.
Lorsque le CPAS prend une décision négative, la personne est en droit de la contester devant le tribunal du travail, le seul habilité à revoir la décision. Malheureusement, les délais d’attente actuels dépassent facilement 5 mois entre le dépôt de la requête et la décision du tribunal. Ce qui veut dire que la personne est sans ressources pendant toute cette période. C’est la débrouille au quotidien, la personne vit de colis alimentaires distribué par des associations ou est aidée par des amis qui parfois vivent aussi dans de grandes difficultés financières.
Vu les mesures prises par le gouvernement et la crise qui touche de plus en plus de personnes, la situation des CPAS ne va aller en s’améliorant. De plus en plus de personnes ne savent plus faire face au coût de la vie. Comment arriver à payer son loyer, ses factures et manger avec un montant de 801,34€ pour une personne isolée ?
En guise de conclusion.
Ces constats démontrent qu’ouvrir un droit à un revenu d’intégration sociale ou le maintenir devient une lutte quotidienne. Les CPAS sont effectivement confrontés à un nombre croissant de demandes mais doit-on pour cela accepter que les personnes qui s’adressent au CPAS soient traitées de la sorte. Ils ne sont en rien responsables de l’importance du nombre de demandeurs, ni du manque de personnel ou des problèmes d’organisation interne à des CPAS.
En tant qu’intermédiaire entre les usagers et les CPAS, nous sommes à la fois là pour dénoncer ce non respect des droits des personnes mais également en soutien aux travailleurs sociaux fatigués des CPAS face à leurs conditions de travail parfois intenables dans les grosses villes.
Le gouvernement doit prendre ses responsabilités dans ce naufrage qui nous apparaît plus important chaque année. C’est à croire que les rapports sur la pauvreté ne sont d’aucune utilité.
A l’origine, la création des CAP (en 1915) puis des CPAS (en 1976) et de leurs aides diverses avaient pour objectif l’intervention de l’État à la place des œuvres caritatives afin d’éradiquer la pauvreté...